CHAPITRE PREMIER.
- De quelle façon se
manifesta la révélation chez l'Envoyé de Dieu.
- De ces mots du Coran :
"Nous t'avons envoyé la Révélation ainsi que nous
l'avions fait pour Noé et les prophètes qui sont venus
après lui"
(sourate IV, verset).
1.
'Alqama-ben-Waqqâs-El-Leïtsi
rapporte que 'Omar-ben-El-Khattaâb, étant en chaire,
s'exprima dans les termes suivants :
"J'ai entendu l'Envoyé de Dieu dire : "Les actions ne
valent que par les "intentions". Il ne sera donc tenu
compte à chaque homme que de ses intentions. Pour celui
qui aura émigré en vue de biens terrestres, ou afin de
trouver une femme à épouser, l'émigration ne comptera
que pour le but qui aura déterminé son voyage."
2.D'après 'Aïcha, la mère des
Croyants,
El-Harits-ben-Hichâm ayant dit au Prophète : "Envoyé de
Dieu, comment te vient la Révélation ?", celui-ci
répondit : "A certains moments, elle m'arrive pareille
au tintement d'une clochette, et c'est pour moi la plus
pénible. Puis la Révélation s'interrompt, et alors
seulement je saisis ce que l'ange m'a transmis. D'autres
fois, l'ange se montre à moi sous une forme humaine, il
me parle et je retiens ce qu'il m'a dit."
'Aïcha ajoute
: " Certains jours que le
froid était très vif, je vis le Prophète recevoir la
Révélation ; au moment où elle cessait, le front du
Prophète ruisselait de sueur."
3.
'Aïcha, la mère des Croyants, a dit
: "La Révélation débuta chez
le Prophète par de pieuses visions qu'il avait pendant
son sommeil. Pas une seule de ces visions ne lui apparut
sinon avec une clarté semblable à celle de l'aurore.
Plus tard, il se prit à aimer la retraite. Il se retira
alors dans la caverne de Hirâ, où il se livra au
tahannouts, c'est-à-dire à la pratique d'actes
d'adoration durant un certain nombre de nuits
consécutives, sans qu'il revînt chez lui ; aussi se
munissait-il à cet effet de provisions de bouche.
Ensuite il revenait vers Khadîja et prenait les
provisions nécessaires pour une nouvelle retraite. Cela
dura jusqu'à ce que la Vérité lui fut enfin apportée
dans cette caverne de Hirâ.
"L'ange vint alors le
trouver et lui dit : "Lis ! ---Je ne suis "point de ceux
qui lisent", répondit-il. L'ange me saisit aussitôt,
raconta le Prophète ; il me pressa au point de me faire
perdre toute force et me répéta ce mot : "Lis ! --- Je
ne suis point de ceux "qui lisent," répliquai-je encore.
Pour la troisième fois l'ange me saisit, me pressa au
point de m'enlever toute force, puis me lâcha en disant
: "Lis : au nom de ton Seigneur qui a créé. --- Il a
créé "l'homme de sang coagulé. --- Lis : et ton Seigneur
est le très "généreux" (sourate XCVI, versets 1, 2 et
3).
"En possession de ces
versets, le coeur tout palpitant, le Prophète rentra
chez Khadîdja-bent-Khowaïlid et s'écria :
"Enveloppez-moi ! "Enveloppez-moi !" On s'empressa de le
tenir enveloppé jusqu'au moment où son effroi fut
dissipé. Alors, s'adressant à Khadîdja, il la mit au
courant de ce qui s'était passé, puis il ajouta : "Ah !
j'ai cru que j'en mourrais ! --- Non pas ! répondit
Khadîdja. Certes jamais Dieu ne t'infligera d'affronts ;
car tu es uni avec tes proches, tu soutiens les faibles,
tu donnes à ceux qui n'ont rien, tu héberges les hôtes
et tu secours les victimes des vicissitudes du droit."
"Ensuite Khadîdja emmena
Mohamed chez
Waraqa-ben-Naufal-ben-Asad-ben-'Abd-el-'Ozza. Cet homme,
qui était le cousin paternel de Khadîdja, avait embrassé
le christianisme aux temps antéislamiques. Il savait
tracer les caractères hébraïques, et avait copié en
hébreu toute la partie de l'Evangile que Dieu avait
voulu qu'il transcrivit. A cette époque il était âgé et
était devenu aveugle : "Ô mon cousin, lui dit Khadîdja,
écoute ce que va te dire le fils de ton frère. --- Ô
fils de mon frère, répondit Waraqa, de quoi s'agit-il ?"
Le Prophète raconta alors ce qu'il avait vu. "Cet ange,
dit Waraqa, c'est le Confident que Dieu a envoyé
autrefois à Moïse. Plût à Dieu que je fusse jeune en ce
moment ! Ah ! que je voudrais être encore vivant à
l'époque où tes concitoyens te banniront ! ---Ils me
chasseront donc, s'écria le Prophète ? --- Oui, reprit
Waraqa. Jamais un homme n'a apporté ce que tu apportes
sans être persécuté ! Si je vis encore ce jour-là, je
t'aiderai de toutes mes forces." Après cela Waraqa ne
tarda pas à mourir, et la Révélation fut interrompue."
Parlant de cette
interruption, Djâbir-ben-'Abdellah-El-Ansari rapporte la
tradition suivante : "Tandis que je marchais, dit le
Prophète, j'entendis une voix qui venait du ciel. Levant
alors les yeux, j'aperçus l'ange qui était venu me
trouver à Hirâ ; il était assis sur un trône entre le
ciel et la terre. Effrayé à cette vue, je rentrai chez
moi en criant : "Enveloppez-moi ! enveloppez-moi !"
Alors Dieu me révéla ces versets : "Ô toi qui es
enveloppé, lève-toi et menace du châtiment" (sourate
LXXIV, versets 1 et 2), et continua jusqu'à ces mots :
"Et l'idolâtrie, fuis-là" (sourate LXXIV, verset 5).
Après cela la Révélation reprit avec ardeur et continua
sans interruption."
4.Suivant
Sa'îd-ben-Djobair, voici comment Ibn-'Abbâs commentait
le verset du Coran :
"N'agite pas ta langue afin de hâter ainsi la
Révélation" (sourate LXXV, verset 16). "L'Envoyé de Dieu
essayait de calmer la souffrance que lui inspirait la
Révélation, et c'est dans ce but qu'il remuait les
lèvres." Ce disant, Ibn-'Abbas remuait les lèvres et
ajoutait : "Regarde, je les remue de la même façon que
le faisait l'Envoyé de Dieu." A son tour Sa'îd
rapportant cette tradition, remuait les lèvres et disait
: "Je les remue comme je l'ai vu faire à Ibn-'Abbâs." Ce
fut dans ces circonstances que Dieu fit descendre ce
verset : "N'agite pas ta langue afin de hâter ainsi la
Révélation. --- C'est à nous qu'incombe l'assemblage de
ces textes et leur récitation" (sourate LXXV, verset 16
et 17). Ibn-'Abbâs expliquait ces derniers mots en
disant : "Dieu les assemblera dans ta poitrine et tu les
réciteras ensuite." Dans le verset : "Lorsque nous le
réciterons, suis sa récitation" (sourate LXXV, verset
16), Ibn-'Abbâs expliquait les derniers mots par :
"Ecoute la récitation et tais-toi." Enfin ce verset :
"Ensuite ce sera à nous de le rendre explicite" (sourate
LXXV, verset 19), doit s'entendre, selon Ibn-'Abbâs :
"Ensuite ce sera à nous de te le faire réciter". Après
cette Révélation, chaque fois que Gabriel venait trouver
l'Envoyé de Dieu, celui-ci l'écoutait, puis dès que
Gabriel était parti, il récitait le Coran exactement
comme l'ange l'avait récité.
5.
Ibn-'Abbâs rapporte
que nul n'était généreux à l'égal de l'Envoyé de Dieu,
et que cette générosité se manifestait surtout durant le
mois de Ramadân, à la suite de ses entrevues avec
Gabriel qui venait chaque nuit lui enseigner le Coran. A
ce moment-là l'Envoyé de Dieu était plus généreux que le
vent envoyé par Dieu. (c'est-à-dire les vents qui
amènent la pluie)
6.
Abou-Sofyân-ben-Harb
a raconté qu'il fut mandé par
Héraclius à l'époque où il se trouvait en Syrie à la
tête d'une caravane de marchands qoraïchites, et au
cours de la trêve (la trêve de Hodaibiya) que le
Prophète avait conclue avec lui et les infidèles de
Qoraïch. Les envoyés d'Héraclius arrivèrent auprès d'Abou-Sofyân
au moment où l'empereur et sa suite se trouvaient à Ilya
(transcription arabe de la première partie du nom que
portait à cette époque Jérusalem, Elia Capitolina.)
Entouré de grands personnages grecs, Héraclius convoqua
les Qoraïchites dans sa salle de réception ; puis, il
les fit introduire en sa présence et invita son
interprète à leur dire : "Lequel d'entre vous est le
plus proche parent de cet homme qui prétend être
prophète ? --- C'est moi répondit Abou-Sofyân. --- Qu'on
fasse approcher cet homme de moi, dit l'empereur ; qu'on
fasse également rapprocher ses compagnons et qu'ils
soient placés contre son dos." Alors, s'adressant à son
interprète : "Dis-leur, reprit-il, que je vais
interroger cet homme sur le prétendu prophète ; si cet
homme ment, ses compagnons devront relever ses
mensonges." En faisant ce récit, Abou-Sofyân ajouta "Par
Dieu ! si je n'avais eu honte de voir relever mes
mensonges par mes compagnons, j'aurais hardiment menti
sur son compte. La première question qui me fut posée
fut la suivante : "Quel rang sa famille occupe-t-elle
parmi vous ? --- Elle jouit d'une grande considération,
répondis-je. ---Quelqu'un parmi vous, poursuivit
Héraclius, a-t-il jamais tenu avant lui de semblables
propos ? ---Non. --- Quelqu'un de ses ancêtres a-t-il
régné ? ---Non, répliquai-je. ---Ses partisans se
recrutent-ils dans les hautes classes ou parmi les
humbles ? --- Parmi les humbles. ---Leur nombre
augmente-t-il ou va-t-il en décroissant ? ---Il
augmente. --- En est-il parmi eux qui après avoir adopté
sa religion la prennent ensuite en aversion et
apostasient ? --- Non. --- Le soupçonniez vous de
mensonge avant qu'il ne tînt les discours qu'il tient
aujourd'hui ? ---Non. --- Trahit-il ses engagement ?
---Non ; mais nous avons conclu une trêve avec lui en ce
moment et nous ignorons comment il se conduira au cours
de cette trêve." Cette réponse ajouta Abou-Sofyân, fut
la seule dans laquelle je pus glisser une insinuation
contre Mohamed.
"Poursuivant ses
questions, Héraclius dit : "Avez-vous été en guerre avec
lui ? --- Oui, répondis-je. ---Quelle a été l'issue des
combats livrés ? --- La guerre entre nous a eu des
alternatives ; tantôt c'est lui qui l'a emporté sur
nous, tantôt c'est nous qui l'avons emporté sur lui. ---
Et que vous ordonne-t-il donc ? --- Il nous dit de
n'adorer que Dieu seul ; de ne lui associer aucun être ;
de renoncer aux croyances de nos pères. Il nous ordonne
de prier ; d'être de bonne foi ; d'avoir des mœurs
pures ; de rester unis avec nos proches." Alors
Héraclius chargea son interprète de dire à Abou-Sofyân :
"Je t'ai interrogé sur sa famille et tu m'as répondu
qu'il était de bonne naissance. Or les envoyés de Dieu
ont toujours été choisis parmi les plus nobles du peuple
chez lequel ils remplissaient leur mission. Je t'ai
demandé si quelqu'un parmi vous avait tenu de semblables
discours, et tu m'as répondu que non. Alors en moi-même
j'ai pensé que si quelqu'un avant lui avait tenu les
mêmes propos, je pourrais croire que cet homme ne
faisait qu'imiter les enseignements de ses
prédécesseurs. Je t'ai demandé si parmi ses ancêtres il
y en avait eu un qui eût régné et tu m'as dit que non.
En posant cette question je pensais que, si un de ses
ancêtres avait régné, cet homme cherchait à remonter sur
le trône de ses pères. Je t'ai demandé si, avant qu'il
vous tînt ses discours, vous le soupçonniez d'être un
menteur et tu m'as répondu que non. J'ai compris par là
que s'il n'était pas homme à mentir à l'égard de ses
semblables il ne pouvait mentir à l'égard de Dieu. Je
t'ai demandé si ses adeptes se recrutaient parmi les
grands ou parmi les humbles et tu m'as répondu que
c'était parmi les humbles. Or c'est toujours eux qui
forment les partisans des prophètes. Je t'ai demandé
s'ils augmentaient en nombre ou s'ils diminuaient et tu
m'as répondu qu'ils allaient en augmentant. Or c'est
bien là le propre de la foi de croître jusqu'à sa
complète évolution. Je t'ai demandé si quelques-uns
d'entre eux après avoir embrassé la foi s'en
détournaient avec horreur et la reniaient et tu m'as
répondu que non. Et c'est bien ainsi qu'agit la foi
quand sa grâce pénètre dans les cœurs. Je t'ai demandé
s'il manquait à ses engagements et tu m'as répondu que
non. Il en est ainsi des prophètes, ils ne trahissent
point. Je t'ai demandé ce qu'il vous ordonnait et tu
m'as répondu qu'il vous ordonnait d'adorer Dieu, de ne
lui associer aucun être, qu'il vous défendait d'adorer
des idoles ; qu'il vous prescrivait la prière, la bonne
foi et la pureté des mœurs. Si donc ce que tu dis est
vrai, cet homme conquerra cet endroit même que foulent
mes deux pieds. Je savais d'ailleurs que cet homme
allait bientôt paraître, mais je ne supposais pas que ce
serait l'un d'entre vous. Quant à moi, si je savais
pouvoir parvenir jusqu'à lui, je ferais tous mes efforts
pour l'aller trouver et dès que je serais auprès de lui
je laverais la poussière de ses pieds."
Ensuite Héraclius donna
l'ordre d'apporter la lettre que le Prophète avait fait
remettre par Dihya au gouverneur de Bosra et que ce
dernier lui avait transmise. Il lut la lettre qui était
ainsi conçue : "Au nom de Dieu, le Clément, le
Miséricordieux. De la part de Mohamed, l'adorateur de
Dieu et son envoyé à Héraclius le chef des grecs. Salut
à quiconque suit la bonne voie. Ensuite. Je t'appelle à
la foi musulmane ; convertis-toi à l'islamisme, tu seras
sauvé et Dieu te donnera une double part de récompense.
Si tu te détournes de l'islam tu seras en outre
responsable du péché commis par tes sujets. "Ô gens de
l'Ecriture, venez à l'appel d'une parole qui vous est
commune à nous comme à vous, à savoir que nous ne devons
adorer que Dieu et ne lui associer aucun être ; qu'aucun
de nous n'en prenne quelque autre comme souverain
suprême à l'exclusion de Dieu. S'ils se détournent à cet
appel dites-leur : "Soyez témoins que nous sommes
musulmans" (sourate III, verset 57).
Abou-Sofyân
poursuit son récit en ces termes : "Lorsque Héraclius
eut prononcé les paroles qui viennent d'être rapportées
et qu'il eut achevé de lire la lettre du Prophète, un
grand tumulte se produisit dans son entourage et des
cris violents retentirent. On nous fit alors sortir et
pendant que nous sortions je dis à mes compagnons : "Il
faut que les affaires du d'Abou-Kebcha aient pris de
l'importance puisque le prince des Benou-'l-Asfar le
redoute." Et depuis ce jour jusqu'au moment où Dieu
m'imprégna de l'islam, je demeurai convaincu du succès
de Mohamed.
Ibn-En-Nâtour,
gouverneur de Ilya, ami d'Héraclius et évêque des
chrétiens de Syrie, raconte ce qui suit : "Héraclius, de
passage à Ilya, se leva un matin de fort méchante
humeur. Un de ses patrices lui dit alors : "Nous voyons
avec peine que tu n'as pas ton air accoutumé."
Ibn-En-Nâtour ajoute que Héraclius, qui était devin et
qui observait les astres, répondit alors à l'observation
qu'on venait de lui faire : "Cette nuit, en regardant
les astres, j'ai vu que l'avènement du prince des
circoncis venait d'avoir lieu. Quelles sont donc les
nations actuelles qui pratiquent la circoncision ? ---
Les Juifs seuls, répondirent les courtisans, pratiquent
la circoncision. N'aie donc pas la moindre inquiétude à
leur sujet. Ecris dans toutes les villes de ton royaume
pour ordonner qu'on mette à mort tous les Juifs qui s'y
trouvent."
Ils en étaient là de leur
conciliabule, quand se présenta à Héraclius un messager
du prince de Ghassân chargé d'annoncer à l'empereur
l'apparition du Prophète. Après avoir interrogé ce
messager Héraclius dit à ceux qui l'entouraient : "Allez
examiner cet homme et voyez si oui ou non il est
circoncis." L'examen terminé, ils déclarèrent à
Héraclius que le messager était circoncis. L'empereur
lui ayant alors demandé si les Arabes étaient circoncis
et la réponse ayant été que oui, il s'écria : "Ce que
j'avais vu, c'était donc l'avènement au pouvoir de ce
peuple." Ensuite il écrivit à un de ses amis dont la
science égalait la sienne et qui habitait Rome, puis il
se mit en route pour Emèse. Il n'était pas encore arrivé
dans cette ville qu'il reçut de son ami une lettre qui
confirmait l'idée qu'il avait eue de l'avènement de
Mohamed et du caractère prophétique de sa mission. Alors
Héraclius convoqua tous les grands personnages grecs
dans la grande salle intérieure de son palais d'Emèse
et, après en avoir fait fermer les portes, il se plaça
dans un endroit élevé et dit : "Peuple grec,
désirez-vous le bonheur ? Voulez-vous être dans la voie
droite et conserver votre suprématie ? Eh bien ! prêtez
serment de fidélité à ce Prophète !" En entendant ces
mots les Grecs avec la furie d'ânes sauvages, se ruèrent
vers les portes, mais ils les trouvèrent fermées.
Désespérant alors de les amener à la foi, Héraclius
donna l'ordre de ramener tout le monde devant lui et dit
: "Le discours que je viens de vous tenir n'avait
d'autre but que d'éprouver la force de votre attachement
à votre religion ; maintenant je suis édifié." Les Grecs
se prosternèrent aussitôt devant lui et lui marquèrent
leur satisfaction. Ainsi finit cette aventure de
Héraclius.